Paroles d’endeuillés – Deuil au travail : ils témoignent

Comment faire comprendre les réalités au quotidien du vécu de deuil ?

Dans le cadre du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, Empreintes a organisé focus group au printemps 2024. Six personnes endeuillées ont offert leur témoignage présenté dans un recueil intitulé “Paroles d’endeuillés”, présenté à la ministre Catherine Vautrin et à des parlementaires.

Le saviez-vous ? Le jour des obsèques n’est pas toujours le plus éprouvant, parfois c’est le lendemain… 

Parce que nos idées reçues sont à interroger, à Empreintes nous tenons à nous appuyer sur le vécu de ceux que nous accompagnons pour porter leur voix et améliorer leurs droits. Nous avons donc rencontré six actifs en deuil lors d’un focus group, pour identifier leurs difficultés et leurs ressources lors du décès et dans les jours puis les mois qui suivent.

Forts de ces témoignages, dans le cadre des travaux législatifs débutés en 2024 sur la fin de vie, Empreintes a plaidé pour un meilleur soutien aux proches, y compris après un décès. Un entretien le 2 mai 2024 avec la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, a permis d’approfondir ces enjeux. Suite à la constitution d’un groupe de travail transpartisan, trois amendements ont été déposés par les députées Anne Brugnera et Lise Magnier, dont l’amendement n°2820, prévoyant une campagne annuelle de sensibilisation au deuil, adoptée en commission puis en séance. L’inscription de mesures sur l’accompagnement du deuil dans la Stratégie décennale des soins palliatifs et le principe d’une campagne annuelle d’information sur le deuil ont également été actés.

D’autres avancées concrètes ont d’ores et déjà été acquises auparavant, lorsqu’un parent vit le décès d’un enfant de moins de 25 ans : allongement de la durée du congé de deuil, protection contre le licenciement pendant un an, … D’autres initiatives ont pu voir le jour : amélioration de l’information sur les démarches et les ressources les sites publics, soutien au programme « Deuil et inégalités sociales », rédaction de livrets administratifs avec la Direction Interministérielle de la Transformation Publique et la Caisse Nationale des Allocations Familiales.

Aujourd’hui, Empreintes s’engage encore à défendre ces avancées dans le cadre de la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement et le fera notamment lors des prochaines Assises du Deuil qui se tiendront au palais du Luxembourg le 10 octobre prochain !

Découvrez Leurs témoignages :

Maddie 
61 ans, sans profession 
Sa mère est décédée d’un cancer en septembre 2020

 

Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ?

« Avant le décès, ça se passait bien. Et après le décès, ça se passait super bien. » ; « J’étais active, je menais deux fronts. » ; « Quand je suis retournée au travail, cinq jours plus tard, je reprenais mes rendez-vous, mes réunions, etc, ils ont souhaité me licencier. »

 

Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« Je ne sais pas si vous avez des images comme ça, mais c’est cauchemardesque. il y a des choses qu’on ne peut pas vivre seul. Ce n’est pas possible. Il faut être entouré. Personne n’est venu me voir une fois que j’ai vu ma mère par terre pour me dire « alors comment vous vous sentez ? » ; « C’est la grande solitude. »

 

Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« C’est pas un jour, c’est deux jours et je trouve que c’est très bien vu de parler de ce jour du lendemain. Ça fait prendre conscience qu’il faut atterrir, on n’est pas des robots »

 

 Avez-vous rencontré des difficultés face aux démarches administratives ?

« J’avais l’impression de flotter à côté de moi. Je me rappelle l’entretien avec le curé pour parler de ma maman. Je ne savais pas qui j’étais, de quoi je parlais… On est vraiment décalé. On continue à vivre, mais on n’est pas vraiment là. »

 

 Avez-vous rencontré des difficultés face aux démarches administratives ?.

« On a demandé de l’aide à tous les gens qui pouvaient nous aider, proches, notaires, banques. Je me suis retrouvée multitâche avec multi interlocuteurs. Et heureusement, ces gens-là étaient assez disponibles. Je me suis débrouillée avec la comptable, des gens qui étaient un peu disponibles. Ce n’était pas du public, c’était du privé. »

 

 Et pour finir ? 

« Je considère qu’il y a un truc qui manque quand on est en deuil et quand on est au travail. On a un cœur qui a reçu un grand coup, on est très blessé et on a pas de référent de deuil. On n’a pas de médecin du travail auprès de qui aller. Il n’y a pas de statut particulier qui est donné. C’est de l’indifférence, du non-respect. Je trouve que c’est aride. »

Benoit 
43 ans, paysagiste concepteur 
Sa femme est décédée d’un cancer en juillet 2019

 

 Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ?

« C’était visible que je n’étais pas à 100% dans mon boulot, je pense que c’était compris de la part de ma direction et de mes collègues, mais c’était un sujet qui n’existait pas. » ; « Pour ne pas avoir à souffrir, à prendre une réalité pleine face, le refuge, c’était d’aller me remettre dans mon boulot qui n’avait aucun sens, mais sur lequel j’avais l’impression d’être efficace et d’avoir une mission à accomplir que je pouvais accomplir. »

 

 Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« C’est comme s’il y avait une échéance de quelque chose qu’on n’a pas très envie de revivre.» ; « C’est la grande solitude. » ; « Ce que je pense très important pour moi, c’est de l’avoir vécu, d’avoir constaté, d’avoir été là en lui tenant la main à ce moment-là. »

 

 Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« C’est le lendemain quand tout le monde part que le vertige démarre vraiment. Et je crois que vraiment, le moment où on a le plus besoin de soutien, c’est justement la fin des obsèques. »

 

 Comment vous sentiez-vous après les obsèques ?

« Je n’avais pas le droit de flancher. » ; « C’est parce que j’ai eu ce moment dédié disponible mentalement pour pouvoir me concentrer, pour aborder ce moment là que je me suis mis en situation de pouvoir le gérer. » ; « Je savais que j’allais vivre quelque chose d’extraordinaire, qui allait chambouler toute ma vie pour toujours. »

 

 Avez-vous rencontré des difficultés face aux démarches administratives ?

« J’avais peur de toutes ces démarches à faire et je m’y suis finalement assez bien retrouvé. » ; « Presque comme un soin, quelque part, j’avais un peu l’idée de reprendre la main sur des choses qui étaient très opérationnelles. » ; « Je n’aurais presque pas aimé, je pense, avoir quelqu’un à côté de moi qui me tienne la main pour le faire, parce que j’avais besoin de séparer ce qui était mon deuil et mes émotions de ce côté très pragmatique et opérationnel. »

 

 Et pour finir ?

« J’ai trouvé très très important de pouvoir être accompagné par mes collègues qui ont pu me donner des jours de congé. Peut-être qu’il y a quelque chose à creuser aussi de l’ordre de la facilité pour une entreprise à permettre ce genre de choses. »

Arnaud
42 ans, cadre de banque
Sa fille est décédée suite à des troubles respiratoires en novembre 2022

 

 Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ?

« J’avais l’impression d’être vraiment absent. » Il y avait ce sentiment d’être là sans être là. » « Il y avait plutôt de bienveillance mais qui s’exprime surtout par du silence. Globalement, les gens étaient très compréhensifs, mais on n’en parlait pas. Il y a effectivement une forme de tabou, il n’y a rien qui se dit comme si ça n’existait pas finalement. »

 

 Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« Sur le coup, ça a été une grande colère contre moi-même, mais je pense que c’était aussi une forme de protection contre le sentiment de perte et de vide que je ressentais par ailleurs. » « Après, c’est pas linéaire, ça va et ça vient. »

 

 Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« Je n’ai pas l’impression que l’enjeu, ce soit une journée de plus pour les obsèques. » « Il y a les congés effectivement dont on va avoir besoin quand on rentre dans une espèce de tunnel parce qu’il faut tout organiser dans un laps de temps qui est effectivement assez court. »

 

 Comment vous sentiez-vous après les obsèques ?

« J’avais ces 15 jours après, et je ne vois pas comment ça aurait pu être possible de ne pas les avoir. Je ressens quand même une légère bascule au moment des obsèques. Je ressentais une telle tension jusqu’à ce moment-là sur l’organisation et la charge émotionnelle qu’il y avait autour des obsèques de notre fille. On avait aussi le sentiment de devoir apporter un témoignage. Il y a ce jour d’après, cette espèce de vide. Finalement, une fois les obsèques passées, on a eu un temps de repos. On ne peut pas quantifier le nombre de jours qu’il faudrait pour la démarche de deuil en soi. C’est impossible. Il y a une forme de hiérarchisation, mais qui est inexplicable. »

 

Et pour finir ? 

« Je suis d’accord que quand on voit les dons de RTT, on se dit, pourquoi est-ce que l’entreprise ne donnerait pas elle-même ?
Pour inscrire les choses dans le temps, je suis d’accord que quelque chose de régulier qui s’étendrait avec une certaine fréquence ça peut aussi aider, de dire « on vous donne un temps pour ça, on vous donne une journée dans cette optique-là ». Par exemple avec ma femme on pose systématiquement la journée pour la date anniversaire du décès de notre fille. »

Stéphanie 
57 ans, cadre bancaire
Son conjoint est décédé d’un cancer en décembre 2020


 Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ?

« J’avais un manager qui n’était pas du tout compréhensif. » « J’ai beaucoup ressenti le fait d’être un peu une personne non désirée, non désirable, porteuse de mort, comme si ça pouvait contaminer les autres. J’ai eu un peu l’impression d’être mise en marge. » « Petit à petit, c’est le sens de mon job qui a disparu pour moi »


 Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« Mon conjoint était en hospitalisation à domicile. L’ambulance est arrivée un quart d’heure après, ils ne savaient pas quoi faire de lui et où le mettre. Au final, ils l’ont mis dans notre lit alors qu’on avait prévu qu’il soit dans une autre chambre qui donnait sur la terrasse et sur la verdure. Pour moi, ça a été quelque chose de traumatisant qu’il décède dans notre chambre. »


 Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« J’étais en arrêt maladie pour la fin de vie de José. Je n’ai même pas pris mon congé légal. La préparation, ça fait aussi partie du début de notre chemin, d’honorer cet être cher. C’est des moments qui sont, pour moi, très importants. Et de le marquer, d’en faire une journée spécifique ça prenait sens. »


 Et pour finir ?

« Je voulais rebondir sur le référent deuil dans l’entreprise. Pour avoir vécu des deuils, des décès de salariés dans mon entreprise, c’est annoncé de façon tellement différente. Il y a vraiment besoin qu’il y ait un process en entreprise qui permette d’accompagner et qu’il n’y ait pas de différence de traitement entre tel ou tel salarié. C’est un humain qui s’est investi dans l’entreprise et ce n’est pas son grade ou son salaire qui fait qu’il doit avoir un traitement différent en termes de communication. Et ça fait tellement mal quand on n’est pas informé de façon officielle. »

Isabelle 
49 ans, sans profession. 
Son mari est décédé d’un cancer en août 2020


 Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ?

« Après le décès, j’ai repris le boulot tout de suite. Très rapidement j’ai vu que ça n’allait pas, donc je me suis fait arrêter d’abord 15 jours puis un mois. Cette période là m’a permis de prendre du temps pour moi, de réfléchir. Quand je suis repartie au boulot, globalement, ça se passait bien. Je n’ai pas l’impression qu’il y avait un changement d’attitude ou plus de compréhension ou plus de gentillesse, ni quoi que ce soit. J’avais l’impression d’être en bout de course moi-même et que j’avais plus suffisamment de niaque. »


 Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« C’est ma belle-sœur qui était présente à l’hôpital à ce moment-là, on s’était relayés. ». « Quand je suis arrivée, il était déjà décédé. » « Mais je pense qu’avec mon conjoint j’avais l’impression que c’était jamais assez. » « C’était cette frustration là de se dire même si on a dit des choses il y en avait encore plein à dire. »


 Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« Une fois que le décès est là, on ne se repose pas, on ne dort pas. Tout est toujours compté, on a l’impression d’avoir des échéances tout le temps, et de pouvoir avoir quelques jours de plus, une espèce de liberté de plus pour juste se poser, je pense que ça pourrait apporter un mieux, quelle que soit la situation. »


 Comment vous sentiez-vous après les obsèques ?

« J’étais sous anesthésie. Cette anesthésie a duré un mois et demi, deux mois. Il y avait des moments où je pleurais beaucoup mais j’avais l’impression d’être morte moi-même, d’une certaine façon. Je me disais que c’est étrange que je ressente aussi peu de choses, et en même temps, ça ne m’empêchait pas de pleurer quand même, mais j’avais une espèce de distanciation, comme si je n’étais pas dans mon corps. »


 Et pour finir ?

« Il y a eu des moments dans ma vie où tant que je n’avais pas d’enfants, je n’avais pas mal de vacances. Je m’étais dit effectivement à ce moment-là que je pouvais donner un ou deux jours de temps en temps à quelqu’un qui en avait besoin. Je trouvais que c’était un geste sympa pour accompagner la personne et que ça ne me coûtait pas grand-chose, mais que ça pouvait apporter beaucoup. »

Aurélie
40 ans, Responsable relations investisseurs
Son mari est décédé d’un cancer en novembre 2022

 

Comment le travail se passait pour vous avant et après le décès ? 

« Par rapport au travail, je n’ai jamais eu un jour d’arrêt maladie pendant sa maladie. Donc, j’ai continué à travailler tout à fait normalement. Et puis bon je ne pouvais pas reprendre donc je suis allée voir mon médecin traitant qui m’a arrêtée donc j’ai eu de l’arrêt maladie pendant un mois. Et puis ensuite moi je voulais reprendre parce qu’en fait, je pense que j’avais l’envie que la vie normale reprenne, que la vie normale continue. »

 

 Comment avez-vous vécu l’annonce du décès ?

« L’effondrement, la tristesse, le soulagement, l’incompréhension. C’est très classique, l’injustice de ce qui s’est produit, que ça nous ait frappé nous. Le fait que ce soit une personne jeune qui décède. J’avais un texto que j’ai envoyé un peu à tout le monde. A chaque retour de message, en fait, ça vous renvoie comme un miroir de l’horreur que vous êtes en train de vivre, parce que vous le voyez dans la réaction des gens. »

 

 Que pensez-vous d’accorder une journée spécifique pour les obsèques ?

« Pour moi c’est indispensable. Une journée de congé j’ai envie de dire oui parce que sinon concrètement ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les gens prennent leur congé pour pouvoir aller aux obsèques ou ils se mettent en télétravail et ils y vont ? Ça paraît d’une telle absurdité. »

 

 Comment vous sentiez-vous après les obsèques ?

« C’est le tourbillon de sentiments. Psychologiquement, il y a quand même un besoin d’un gros travail, pour poser tout ça. Après, sur le physique, moi, ça allait. J’ai toujours pu quand même dormir, manger, il n’y avait pas trop de sujets, mais c’est plus l’état émotionnel, psychologique avec énormément de, enfin un tsunami d’émotions, de ressentis qui font qu’il y a zéro bande passante pour le travail. Et puis après, en plus de ça s’ajoute toute la charge mentale de l’administratif pour gérer le décès. »

 

 Et pour finir ? 

« Je pense que les pouvoirs publics peuvent avoir l’hypocrisie de préférer d’autres solutions, mais c’est clairement insuffisant. Je pense que c’est bien que vous puissiez aborder ce sujet dans une société où la mort est taboue. Mais à l’occasion du débat sur la nouvelle loi sur la fin de vie, je pense que c’est important. »